Interview de Florence Sordes

 

Interview complète de Florence SORDES, Maître de conférences habilitée à diriger des recherches (HDR) en psychologie de la santé à l’université Toulouse Jean-Jaurès (UT2J)interview de florence sordes

Par Christophe COUSI

 

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Transcription de l’interview :

Christophe Cousi : je vous remercie d’avoir accepté cet entretien au cours duquel des questions vous seront posées sur ce qu’en tant qu’enseignant(e) des universités, vous attendez des mémoires de recherche et des thèses de vos étudiant(e)s. Pour terminer, quelques questions vous seront posées sur le métier d’enseignant-chercheur, la communication et la publication scientifique.

En premier lieu, pourriez-vous vous présenter, me dire qui vous êtes et indiquer quelles sont vos fonctions, vos thématiques de recherche… ? 

Florence Sordes : Ok. Moi, je suis Florence Sordes, avec plusieurs statuts : donc Maître de conférences habilité à diriger des recherches (HDR), depuis deux ans, en tout cas pour l’HDR, en psychologie de la santé. Je suis au niveau pédagogique responsable pédagogique du grade master psycho, donc 1000 étudiants et 100 enseignants ; responsable aussi de certaines UE en psycho de la santé ; responsable régionale d’une UE de psycho pour les écoles d’infirmières ; voilà, pédagogiquement voilà. Et en termes de recherche, je suis aussi responsable de l’axe psychologie de la santé au CERPPS à Toulouse. Mes thèmes de recherche sont principalement à 80 % en psycho-oncologie, donc finalement un patient atteint de cancer quel qu’il soit et avec l’idée que l’on a, c’est de pouvoir essayer de savoir comment en fait est le cancer et les différents traitements qui sont en évolution aujourd’hui, ont un effet sur la qualité de vie, en tout cas ce que vit l’individu et avec un fort courant aujourd’hui sur l’éducation thérapeutique, voilà mes thèmes de recherche avec d’autres pathologies comme l’endométriose dont on parle peu et d’autres petites pathologies, voilà, globalement.

Christophe Cousi : Alors, les questions au sujet des mémoires de recherche de Master 1 et Master 2.

Q01 : Globalement, quelles sont vos attentes et vos exigences concernant les mémoires de recherche de vos étudiants de Master ?

Florence Sordes : Alors, les attentes et les exigences ne sont pas les mêmes choses, surtout pas les mêmes choses en M1 et en M2. En M1, aujourd’hui, ce qui se passe, c’est qu’on a des étudiants qui commencent à se former un petit peu à la recherche en L3 puisqu’on a ce qu’on appelle les TER (Travail d’Étude et de Recherche), donc ils commencent en tout cas à arriver maintenant avec une connaissance. De fait, en M1, en tout cas mes attentes personnelles, ce ne sont que les miennes, c’est un, qu’ils puissent faire de la recherche, en tout cas qu’ils puissent s’essayer à faire de la recherche avec une revue de littérature, avec un protocole, un passage sur le terrain et qu’ils puissent répondre à cette recherche-là. On va dire, peu importe le résultat, souvent l’étudiant, il a juste peur qu’il ne valide pas ses hypothèses, mais souvent ce qui se passe, c’est qu’il réplique une recherche et bien souvent avec les hypothèses que les autres chercheurs ont émises sauf qu’ils n’y arrivent pas, ce qui est logique, ils ont juste peur en fait que finalement s’ils ne valident pas les hypothèses, ils n’aient pas la moyenne.

Christophe Cousi : C’est ça, ils pensent que si les résultats ne sont pas significatifs, ça tombe à l’eau ?

Florence Sordes : Oui, voilà.

Christophe Cousi : Ce n’est pas les cas !

Florence Sordes : Ce n’est pas le cas. Et donc, de fait pour moi, c’est vraiment çà et çà a toujours été mon leitmotiv, mais M1 c’est on s’essaye à faire de la recherche, on essaie d’apprendre ce que c’est, d’apprendre les méthodologies. Mon exigence, sans doute, c’est de se faire plaisir dans la recherche, sinon on ne mène pas sa recherche. Sachant qu’en M1 comme en M2, on n’a pas besoin d’être innovant, ça on va dire qu’en thèse on peut l’être peut-être, mais on n’a jamais demandé à un étudiant de M1 d’être innovant. Donc voilà, il faut qu’il découvre ce que c’est, et en M2 on va pousser à peine un peu le bouchon un peu plus loin, le plaisir étant toujours présent et sans doute une spécificité encore plus.

Christophe Cousi : D’accord. Alors ma deuxième question :

Q02 : Quels sont les principaux pièges à éviter entre les différentes phases de rédaction du mémoire de recherche et quelles sont les erreurs, les omissions et les maladresses les plus fréquentes que les étudiants font ?

Florence Sordes : Quand on va faire de la recherche, la chose qui nous importe le plus, en tout cas quand on est étudiant, c’est de passer sur le terrain. L’étudiant, il a juste envie de faire un truc, c’est d’aller voir le terrain, d’aller voir des patients, d’aller voir des personnes et de faire passer des protocoles, ça c’est la seule chose. Et de fait, ce que l’étudiant a comme risque, c’est d’aller trop vite sur la question de recherche. L’objet de recherche, finalement, qu’est-ce que j’ai envie de faire, pourquoi faire etc. Et si l’étudiant, il passe trop vite, finalement on va aller que vers quelque chose qui nous plaît et donc, on risque de se saborder. En tout cas, moi, ce que je vois, c’est y compris dans la rédaction, y compris quand on passe à la rédaction, c’est qu’on va d’abord trouver du plaisir à parler du contexte et nous, moi la contexte c’est la cancéro, c’est la maladie, et l’étudiant va prendre beaucoup de plaisir à faire ça, il va y passer un temps monstrueux et puis il va sans doute oublier parfois les concepts psychologiques, donc ça c’est en tout cas, moi, les erreurs que je vois ou les pièges c’est-à-dire que l’étudiant va là où il se fait plaisir, sauf que la recherche ce n’est pas que là où on se fait plaisir.

Christophe Cousi : Est-ce qu’il a une idée en tête déjà préconçue, de ce qu’il veut étudier ?

Florence Sordes : Pas tous, en M2, oui c’est sûr. Il a une idée en M2, il a une idée parce qu’il a déjà fait en M1 un mémoire, donc il sait finalement les limites du mémoire de M1 et ça lui permet de se rebooster pour le M2, sachant que logiquement il ne doit pas avoir d’idée préconçue sur ce qu’il va trouver. Le M1, lui, il est plutôt, comme il découvre c’est plutôt compliqué de… bien souvent il a bien envie quand même de faire les résultats et de dire après, voilà une fois que j’ai les résultats voilà mes hypothèses, voilà.

 

Christophe Cousi :

Q03 : Beaucoup d’étudiants restent souvent bloqués durant une longue période sur la problématique en fait, ils ont du mal à élaborer une problématique de recherche, pouvez-vous expliquer clairement ce que signifie cette démarche, l’élaboration d’une problématique que beaucoup méconnaissent ?

Florence Sordes : Alors la problématique, c’est celle qui fait pleurer tout le monde, y compris moi quand je fais ma thèse j’ai beaucoup pleuré devant, donc ça veut bien dire que c’est compliqué et qu’elle est de fait compliquée à expliquer, sinon personne n’aurait de difficultés. La problématique, je crois qu’en fait, bien souvent les étudiants pensent que c’est juste un problème. Problématique, si on raccourcit, c’est j’ai un problème, donc quel est-il ? Et souvent, il la résume, quand je le vois avec les troisièmes années, ils la résument à une question cette problématique sauf que la problématique c’est on part d’une question de recherche, de l’objet de recherche, on va résumer ce qu’on a vu en revue de littérature pour effectivement dire finalement tous les… c’est comme si on faisait une thèse, antithèse et synthèse. En fait, c’est vraiment ça la problématique.

Christophe Cousi : Les arguments, oui.

Florence Sordes : Et avec des arguments, mais que l’on a juste donné en revue de littérature. Donc en fait, on va décliner ça logiquement. Et la fin de cette argumentation est quand même l’hypothèse générale. Donc en fait, la problématique, elle ne reste que conceptuelle. Et c’est la difficulté…Alors sur du M1 et du M2, je dirais que la problématique est moins compliquée parce qu’elle est plus réduite, les recherches sont plus petites, etc. Elle, c’est beaucoup plus compliqué sur une thèse, celle-là elle fait beaucoup plus souffrir en thèse, mais voilà, M1 ou en M2, je dirais qu’elle est relative dans la difficulté, c’est vraiment la compréhension de comment j’en arrive à mon hypothèse générale ?

Christophe Cousi : Est-ce que vous auriez une méthode ou des conseils, des astuces pour faciliter justement la rédaction de la problématique ?

Florence Sordes : Non, il n’y a pas.

Christophe Cousi : Il n’y a pas.

Florence Sordes : Il n’y en a pas. Je vais juste te dire comment je déroule la question de recherche, je résume ma revue de littérature et j’en arrive à… Finalement, ben est-ce que je suis d’accord avec ces auteurs-là ou pas ? Et je pose mon hypothèse générale.

Christophe Cousi : À ce que vous dites, c’est surtout de partir de la littérature.

Florence Sordes : Oui. La problématique, elle n’est que conceptuelle.

Christophe Cousi : Conceptuelle. Théorique… d’accord.

Florence Sordes : Oui. Elle fait partie de toute façon de la partie théorique ou elle est en introduction de la méthodologie, mais comme je finis de toute façon sur mon hypothèse générale, je ne peux être que dans le concept. Donc, je suis obligée… En fait la problématique, c’est vraiment… s’il y a vraiment un conseil, c’est s’appuyer sur ce qu’ont dit les auteurs, quels que soient ces auteurs et quelles que soient les orientations et me faire mon propre point de vue. En fait, je crois que c’est la première partie dans un mémoire ou dans une thèse où on demande le point de vue personnel de l’étudiant.

Christophe Cousi : Oui, un positionnement alors ?

Florence Sordes : Oui. Et je pense que c’est ça, c’est arriver à se dire que ça sera vraiment la première fois où on m’accordera ou on accordera l’étudiant de pouvoir se positionner.

Christophe Cousi : D’accord !

Christophe Cousi :

Q04 : L’on assiste à un paradoxe avec d’un côté des étudiants qui sont formés dès la L1 aux méthodes quantitatives. En effet, dans le cas de certaines disciplines, les étudiants suivent dès la licence des cours portant sur les méthodes quantitatives, notamment les statistiques. En cela, la formation aux méthodes quantitatives est supérieure à celle proposée aux méthodes qualitatives, comme les analyses de données textuelles qui sont très peu voire pas du tout enseignées. Malgré cette place donnée à l’enseignement des méthodes quantitatives, beaucoup d’étudiants concernés par l’obligation de réaliser et d’interpréter les statistiques redoutent, l’étape difficile d’avoir à réaliser les stats. La question se pose donc de savoir pourquoi cette appréhension ? Pourquoi ils ont peur des statistiques ? Est-ce que c’est justifié ?

Florence Sordes : Pourquoi ils ont peur des statistiques ? Moi, je dirais… ça c’est une question qui…

Christophe Cousi : La majorité, ils redoutent d’avoir à réaliser les stats…

Florence Sordes : C’est une question compliquée. Je pense qu’il y a beaucoup de représentations. Nos étudiants peuvent venir à la fois, enfin quand ils arrivent en licence, certains viennent de bac scientifique, d’autres non, sont étonnés de fait d’avoir… pour ceux qui sont moins scientifiques, sont étonnés d’avoir quand même des cours de stats etc. où on va dire que les premières années, franchement, on va dire, je pense que ce n’est pas forcément enseigné avec peut-être délicatesse et bon… peut-être avec aussi psychologie. Donc, comme on les détache, je pense, de la psychologie, les étudiants ne comprennent pas pourquoi j’ai H0, H1 etc. et c’est ce que je ne me sers plus du tout moi parce que ça ne sert à rien. Donc, je pense qu’il y a une représentation qui fait que forcément je ne venais pas d’un bac scientifique, on me dit de faire des stats, je n’ai pas compris à quoi ça me servait et la difficulté que l’on a là, et y compris quand ils arrivent en M1, mais aussi c’est pareil c’est-à-dire dès que je prononce statistique, ils sont effarés. Donc, je pense que c’est un défaut que l’on a de formation qui fait qu’on n’est pas dans la pratique.

 

Christophe Cousi :

Q05 : Et dans ce sens pourquoi les méthodes qualitatives sont-elles si peu enseignées ?

Florence Sordes : Alors…

Christophe Cousi : Est-ce qu’on peut affirmer qu’il existe un manque de formation des enseignants et doctorants aussi ?

Florence Sordes : Alors, ça c’est clair qu’il y a un manque de formation pour les enseignants en méthode qualitative. On en a un petit peu ou en tout cas on en a un peu… plus on monte dans les années et plus on va dire qu’on a quelques démarches par rapport… il faut trouver on va dire les premières formations pour les étudiants en méthode qualitative en M1. Il n’y en a pas avant, je ne crois pas. À défaut, parce que justement ça leur permettrait de savoir qu’on peut faire des méthodologies qualitatives aussi et pas que quantitative. Je pense qu’on a… Après, je pense que ça dépend des universités. Moi, je pense qu’en fonction des enseignements, en fonction des enseignants, en fonction des diplômes qui sont donnés, on a certaines choses qui sont davantage enseignées. Je suis persuadée que… alors je ne sais plus rien qu’à l’université elle est, mais il y a Marie Santiago Delefosse qui fait que de la méthode qualitative, je pense faire l’hypothèse que sans doute, ses étudiants ont des enseignements qualitatifs. Nous ici, sur l’UFR de psycho, on n’a pas d’enseignement de méthode qualitative avant la quatrième année.

Christophe Cousi : Elle prônait justement l’utilisation de méthodes qualitatives en psychologie de la santé depuis très longtemps, non ?

Florence Sordes : Ah oui, c’est vraiment des démarches intéressantes. Mais les enseignants ne sont pas formés, j’en connais, je connais des enseignants qui ne sont pas du tout formés…

Christophe Cousi : En fait, il y deux courants, celui de Marilou Bruchon Schweitzer qui était plutôt quantitatif en fait au même moment en psychologie de la santé ?

Florence Sordes : Oui, mais comme en fait… mais oui, mais c’est en fait comme ce qui s’est passé aux États-Unis, c’est-à-dire qu’on a deux tenants de la psycho de la santé : un qui est totalement quantitatif et que l’on a bien quand même à Toulouse ; et un autre qui est plutôt qualitatif, quantitatif, on a les deux à la fois, et où effectivement on a une démarche, après effectivement l’étudiant en M2, moi, quand l’étudiant arrive… en tout cas quand il arrive en M2, en psycho de la santé, ce que je lui dit, c’est que s’il a fait une méthode quantitative en M1, il faut qu’il fasse une méthode qualitative en M2, il faut qu’il s’essaie, c’est encore le moment où globalement, on peut s’essayer à ça et on peut faire des erreurs. Après, la méthode qualitative, ça ne dépend que de l’enseignant qui encadre.

Christophe Cousi : Est-ce qu’on peut y voir un manque de validité scientifique ?

Florence Sordes : Oui. Alors, les enseignants qui refusent de faire de la méthode qualitative, bien sûr, prônent le fait que la méthode qualitative ne sert à rien, n’est pas scientifique. Alors, on va dire que ça dépend de ce qu’on entend par scientifique, c’est clair qu’une méthode quantitative, je peux avoir 1000 personnes, point, je fais la statistique, je résous ou je réduis ma personne à une statistique, à un chiffre.

Christophe Cousi : C’est objectif !

Florence Sordes : C’est objectif. Est-ce que c’est ça un être humain ? Je ne suis pas persuadée. La méthode qualitative, elle, je ne peux pas faire une méthode qualitative sur 1000 personnes, je vais en faire sur quatre, cinq, 10 personnes et ça va commencer à me coûter quand même beaucoup d’énergie, parce que qualitatif ça veut dire que j’enregistre, je retranscris et je retravaille encore sur tout ça. Donc, on va dire que sur 1000 données quantitatives, si j’ai pour une heure de travail statistique, sur une analyse de contenu sur 10 personnes, j’en ai pour, allez, un mois.

Christophe Cousi : Mais je ne peux pas généraliser en plus !

Florence Sordes : Et je ne peux pas généraliser, ce n’est que du cas. Et pour autant, ça rend des choses vraiment très bien, sauf qu’effectivement les revues ne sont pas preneuses ces analyses et y compris si on passe, parce qu’aujourd’hui on passe par des logiciels qui… alors, en M1 et M2 pas vraiment. En M1, en tout cas, non, on fait vraiment de l’analyse papier crayon ; sur le M2 on va commencer à passer sur des logiciels comme Iramuteq, Alceste quand c’est possible ou d’autres, mais il faut… voilà, ça devient des analyses hyper spécifiques où il faut être vraiment formé. Et donc, on peut rendre l’analyse on va dire ou le qualitatif, on peut le rendre statistique, ce qui donne des choses intéressantes, mais il n’empêche qu’on restera toujours en qualitatif, parce que c’est ce qui est le plus intéressant, franchement. Donc oui, les revues en veulent moins…

Christophe Cousi : elles sont moins preneuses de ces publications qualitatives ?

Florence Sordes : Oui, aujourd’hui, alors surtout en santé. Santé, c’est vraiment on veut du chiffre, mais aussi parce qu’on sort de… parce qu’on est en étroite relation avec le médical. Le médical fonctionne aussi sur des chiffres, même s’ils viennent nous embaucher pour du qualitatif.

Christophe Cousi : Oui, c’est ça. C’est paradoxal !

Florence Sordes : Ah oui, c’est totalement paradoxal.

Christophe Cousi :

Q06 : Beaucoup d’étudiants se demandent quel poids aura la soutenance dans la note finale accordée au mémoire ? Pourriez-vous expliquer ce qu’il en est en général ou suivant votre propre grille à vous d’évaluation ?

Florence Sordes : Alors, en fonction des départements ou en tout cas des mentions, si je regarde la mention santé, on a en fait les UE, alors en M1, le mémoire, il y a une note d’écrit, il y a une note d’oral, je crois, il y a même une note autre. Non, l’oral ne va pas forcément compter… On lit le mémoire et on a déjà l’idée d’une note, c’est-à-dire qu’on regarde la qualité de ce qui a été fait, de l’investissement, de plein de choses, de ce que dit aussi le directeur de recherche. On va avoir déjà une idée de note, ça, ça va donner une note à l’écrit. La soutenance, elle va… puisqu’elle est quand même notée par ailleurs, elle va permettre soit de dire ça reflète bien ce qu’on a lu et effectivement, la note de l’oral va aller dans ce sens-là, soit ça reflète encore plus ce qu’on a lu, il y a de la distance etc. ça va encore… donc la note va être encore différente, soit parfois on peut être déçu pour X raisons, et à ce moment-là, forcément l’oral va un peu desservir et va baisser la note de l’oral, mais il y avait vraiment deux notes différentes.

Christophe Cousi :

Q07 : De plus en plus d’étudiants en Master 1 font appel à des professeurs particuliers, à des coachs pour les accompagner à la réalisation de leurs mémoires, en complément de leurs directeurs de mémoire, qu’en pensez-vous ? [rire]

Florence Sordes : Donc, chose surprenante, puisque je ne connaissais pas, on va dire, cette idée-là…mais j’ai su il n’y a pas quand même très longtemps qu’il y avait une startup à Toulouse qui en tout cas a démarré et qui était sur ce même truc de pouvoir aider les étudiants au mémoire.

Christophe Cousi : Alors là, je parle vraiment de coach… 

Florence Sordes : Oui, mais c’est ça aussi en fait, c’est…

Christophe Cousi : C’est un peu différent, ils ne font pas le mémoire pour l’étudiant, ils l’aident comme un directeur de mémoire le ferait.

Florence Sordes : La question… En fait, ce qui me pose question c’est l’enseignant, il est logiquement payé pour faire son travail. Et s’il a des étudiants à suivre en mémoire, logiquement, il est payé pour les suivre. Donc, j’ai du mal à comprendre pourquoi en fait l’étudiant aurait à aller voir un coach ou un enseignant pour l’aider, puisque logiquement l’enseignant doit tout faire. A priori, ce n’est pas le cas, puisque les étudiants sont à la recherche peut-être de coach ou… pourquoi pas, ça se fait pour les soutiens scolaires par ailleurs, etc. Ça pose véritablement question quand même, de poser la question sur la responsabilité de l’enseignant.

Christophe Cousi : Ça montre leur angoisse aussi de ne pas y arriver, de ne pas être suffisamment soutenus peut-être.

Florence Sordes : Oui. Mais pour moi, c’est… je veux dire ça m’inquiète parce que ça veut dire qu’à un moment donné quelqu’un ne prend pas ses responsabilités et ne fait pas son travail. Après, les conditions sont les conditions que l’on a, mais quand même… Je me verrai mal qu’un étudiant, un de mes étudiants en mémoire en M1 ou en M2 me dise : « j’ai pris quelqu’un pour m’aider », voilà.

Christophe Cousi : Si vous l’appreniez ?

Florence Sordes : Oui, j’aurais… Oui, ça me remettrait en question, oui !

Christophe Cousi :

Q08 : Alors, toujours au niveau des mémoires de recherche, quels conseils donneriez-vous aux étudiants pour réaliser un bon mémoire et réussir une bonne soutenance, que ce soit sur le fond ou sur la forme ?

Florence Sordes : Est-ce qu’il y a un bon mémoire, une bonne soutenance ? Je n’en sais rien en fait. Je pense que de la même façon que je l’ai défini au départ, en fait, pour moi c’est s’essayer à faire une recherche. Donc en fait, est-ce que je fais un bon mémoire au final ? Pas sûr. Mais, est-ce que j’ai réussi mon expérience à m’essayer à faire ? Peut-être que ça c’est davantage le cas. Donc si je dis une bonne expérience ou en tout cas est-ce que j’ai réussi… Pour qu’un étudiant réussisse en fait, finalement à s’essayer à faire de la recherche, c’est savoir ce que l’on a envie de chercher. C’est pour moi, c’est juste c’est…il faut passer du temps sur l’objet de recherche, qu’est-ce que j’ai envie de montrer ou quelles questions je me pose et pour quelles raisons ? Et une fois qu’on a ça, après ça se décline. Après, il y a toujours des blocages pour X raisons, il y a un blocage parce que je n’arrive pas à comprendre pourquoi, parce que…

Christophe Cousi : Ne pas aller trop vite dès le départ et bien construire son objet de recherche pour après dérouler son étude ?

Florence Sordes : C’est ça, oui. Le temps est en fait on va dire le mot clé là-dedans.

Christophe Cousi : Et un conseil pour la soutenance ?

Florence Sordes : C’est préparer sa soutenance, c’est-à-dire qu’on ne vient jamais à une soutenance sans avoir préparé. Moi, je demande à tous mes étudiants d’écrire leur soutenance et de la répéter 10, 15, 20 fois jusqu’à non pas qu’ils la connaissent par cœur, puisque le par cœur ne m’intéresse pas, mais bien souvent et aujourd’hui on fait des Powerpoint, donc le Powerpoint permet juste de s’appuyer… en tout cas d’appuyer son visuel là-dessus quoi, mais moi, c’est oui… c’est… on doit répéter sa soutenance, c’est une valeur pédagogique c’est-à-dire…

Christophe Cousi : Est-ce qu’on doit répéter le contenu de son mémoire ou être un peu original, aller au-delà et prendre du recul et…

Florence Sordes : Non, on ne peut pas être original puisque de toute façon …

Christophe Cousi : Vous l’avez déjà lu le mémoire ?

Florence Sordes : Le mémoire, on l’a déjà lu, mais quand même une soutenance, globalement, elle part sur la problématique finalement, ou souvent pourquoi l’étudiant a fait cette recherche, parce que ça, ça peut être intéressant à pouvoir situer le contexte et souvent dans le mémoire on ne le sait pas. Il y a que souvent que le directeur de recherche qui le sait, et en santé, on a parfois des problématiques qui sont quand même intéressantes à comprendre, pourquoi l’étudiant a fait ça quoi ? Donc une intro avec ça, c’est bien et puis on part, c’est vrai, sur la problématique et la méthodo et les résultats que l’on a. Là où on peut peut-être, non pas avoir de l’innovation, mais sans doute prendre la distance et ça c’est hyper important sur une soutenance, c’est quelle distance je peux avoir avec ce que je viens d’écrire. Souvent, on le voit en conclusion, souvent on le voit dans la discussion, comment en fait l’étudiant arrive à rediscuter de ses résultats ; ce qui est très compliqué, parce qu’en M1 et même en M2, il rend son mémoire une semaine avant la soutenance. Et donc pour pouvoir avoir de la distance, surtout s’ils ont terminé très à l’arrache, ça devient compliqué. Mais pour autant, c’est vrai que la prise de distance est hyper importante, c’est vraiment un maître-lot là ici.

Christophe Cousi :

On en a fini pour les mémoires, on va voir maintenant les thèses de doctorat.

Q09 : Selon vous, quels sont les éléments qui caractérisent une thèse de qualité, c’est quoi une thèse de qualité ?

Florence Sordes : Qu’est-ce que c’est une thèse de qualité ? Ah quelle question. Une thèse de qualité, moi, je dirais, ce n’est pas forcément le facteur innovant qui est… parce qu’y compris dans une thèse c’est très compliqué d’innover, je pense qu’on n’est pas forcément là pour faire, on va innover sur une variable peut-être. Thèse de qualité c’est je crois une thèse qui… une recherche qui va en fait répondre à ses objectifs de recherche, je crois que c’est vraiment ça, avec un déroulement théorique qui se tient, qui s’entend avec une méthodologie qui sera forcément critiquable, parce qu’y compris une thèse de qualité, je n’en ai jamais vu une qui ne soit pas critiquable.

Christophe Cousi : Tout-à-fait. Il n’y a pas de thèse parfaite, c’est ça ce que vous dites.

Florence Sordes : Il n’y a absolument pas de thèse parfaite, il n’y a pas de recherche parfaite, il n’y a pas d’étudiant parfait, il n’y a pas d’enseignant parfait. Donc à partir du moment où l’on sait ça, on sait forcément qu’une thèse ne peut pas être parfaite, et heureusement. Mais la thèse de qualité, c’est celle qui en fait se déroule, on va dire, du début à la fin et dans le fond et dans la forme de façon, je vais dire, satisfaisante, c’est-à-dire dans la forme parce qu’on a encore trop de thèse où on voit plein de fautes, plein de structures grammaticales qui ne sont pas correctes, etc.

Christophe Cousi : C’est inadmissible quasiment à ce niveau-là ?

Florence Sordes : C’est absolument plus admissible, ça et ça gâche vraiment le travail et après… Oui. Et sur le fond, la thèse de qualité, elle va être… oui, une thèse qui va être cohérente, c’est-à-dire un plan qui se tient bien.

Christophe Cousi : Pas forcément originale vous disiez, un peu d’originalité, mais pas l’innovation…

Florence Sordes : Pour moi, il n’y a pas besoin d’une grande innovation, on est sur de l’humain, donc…

Christophe Cousi : Ajouter un concept, vous disiez, voilà…

Florence Sordes : Oui, on peut, c’est-à-dire que souvent ce qu’on fait sur une thèse, quand on amorce une thèse, on est partis sur un objet de recherche dans notre question et puis on va lire plein de choses dessus et on va à un moment donné se dire, mais tiens c’est bizarre, dans toutes les recherches que je vois, il n’y a jamais ce concept-là qui est articulé ou qui n’est jamais articulé de la même façon. Et donc, on peut se dire ben peut-être que là il y a quelque chose à jouer, à regarder et puis voir. Mais ça ne fera pas forcément une thèse de qualité, parce que si l’étudiant l’écrit mal, le fait mal ou autre, finalement il aura mis quelque chose d’innovant, peut-être, mais pas forcément lisible, on va dire, par les autres. Il faut que la thèse, ça reste lisible en fait, en fait c’est ça.

Christophe Cousi : Oui. A quelqu’un qui n’y connait rien finalement, il faut tout expliquer, tout définir, c’est ça.

Florence Sordes : Oui, il faut effectivement que ça soit compréhensible pour la personne qui travaille dans le service dans lequel on a fait par exemple la thèse, ça semble assez logique. Et parfois en psycho, on a le don pour ne plus être compréhensible. Donc en fait, la thèse de qualité, c’est ça.

Christophe Cousi : Ne pas jargonner, c’est çà !

Florence Sordes : Oui !

Christophe Cousi :

Q10 : Alors, il n’y a jamais eu de note attribuée aux thèses, mais des mentions honorables, très honorables, très honorables avec félicitations depuis peu, ces mentions ont disparu et elles ont été remplacées par les appréciations du jury. Pourriez-vous expliquer à quoi correspondent ces appréciations, sur quoi ces dernières portent-elles ?

Florence Sordes : Alors, ça a toujours été ça, c’est-à-dire qu’assorti à la délibération, il y a un rapport qui est fait donc…D’abord, avant de soutenir il y a un prérapport, il y a deux prérapporteurs, qui font leur pré rapport pour dire c’est soutenable ou pas. Donc, la soutenance se tient et à la fin de la soutenance de thèse, donc à la fin de cette soutenance, oui, il y a un président du jury qui récolte… donc il y a ce jury-là, où aujourd’hui même dans la nouvelle loi, les directeurs ou le directeur de thèse n’a plus le droit d’être dans le moment de délibération, c’est-à-dire qu’il y a un premier moment où le directeur de thèse est dans le jury, donc ça se discute, il y a des choses qui se discutent. Le jury fait sortir le directeur de thèse et le jury continue à discuter et délibère sans ce… effectivement qu’il n’y ait pas de…

Christophe Cousi : D’influence.

Florence Sordes : Voilà, d’influence. Avant effectivement, avant ça, il y avait ces mentions-là données aux candidats qui n’ont pas forcément beaucoup de valeur. Tout simplement, parce que… Et ça a toujours été comme ça, ce qui a le plus de valeur, c’est le rapport de thèse, c’est-à-dire une fois que tous les membres du jury ont parlé, une fois que la délibération a été faite, tous les membres du jury font un rapport. Et en fait, c’est là-dessus que s’établit vraiment la qualité du doctorant et la qualité de la thèse. Il n’y a rien que là-dessus, mais voilà en fait, je pense qu’on a légalisé une loi qui se faisait c’est-à-dire qu’avant la mention, on ne la regardait pas vraiment, on lisait vraiment le rapport parce que souvent ce qu’on s’apercevait, c’est que le rapport n’était pas en adéquation avec la mention. On pouvait avoir un très honorable avec félicitations et avoir un rapport qui n’était pas élogieux. Donc ça, ça pose question. Donc plutôt que d’avoir des dissonances, les mentions ont été enlevées, on regarde le rapport et c’est ce que… voilà.

Christophe Cousi :

Q11 : Au cours de l’avancement de sa thèse, quels éléments peuvent permettre à un étudiant de savoir s’il est sur la bonne voie ? Pour le dire autrement, comment un étudiant peut-il s’autoévaluer sur la qualité de ses propres travaux ?

Florence Sordes : Un, il a un directeur de thèse, donc le directeur de thèse doit l’aider à faire ça. Alors la difficulté, c’est que quand on est en thèse, on n’est pas tous les quatre matins avec son directeur de thèse, quoique, mais quand même il y a un autre relationnel qui s’installe et il y a un travail qui doit se faire en tout cas de façon différente. Donc, le directeur de thèse est là pour ça, pour à un moment donné dire à l’étudiant, c’est bon ou ce n’est pas bon ou la voie que tu prends va bien ou pas. Donc c’est vraiment, pour moi à 90% donné au directeur de thèse, les 10 autres pourcents sont le fait que l’étudiant peut aussi à un moment donné discuter avec d’autres doctorants et voir aussi si son évolution va bien ou pas. Ça, c’est quand même, on va dire, c’est idéal. Ensuite, on peut avoir effectivement des directeurs de thèse qui suivent moins, parce qu’ils considèrent que l’étudiant, il doit être grand, vacciné, majeur et puis tout va bien. Donc, comment fait l’étudiant à ce moment-là pour s’autoévaluer, ça c’est bien la question ? À mon avis, c’est peut-être là les coachs. Les coachs sont peut-être là pour aider. Je pense que l’entraide entre étudiants, entre doctorants, est quand même énorme, c’est vraiment un moment, la thèse où on est à la fois seul et on peut être très seul, mais aussi en collectif. Et le fait d’appartenir parfois aussi à des laboratoires de recherche va permettre de faire ça.

Christophe Cousi : Il y a de la compétition entre doctorants, sur différents aspects…

Florence Sordes : Elle va y être à un moment donné par rapport à des postes.

Christophe Cousi : Elle y était en Master 1 pour la sélection en Master 2 !

Florence Sordes : Oui, elle y est par rapport à des postes : postes d’ATER, postes de maître de conférences, postes…Donc c’est la publication où c’est finalement… La concurrence, ça va être là-dessus, mais guère. Mais juste pour revenir sur la dernière… la question avant. Il y a aujourd’hui en fait là, il y a une nouvelle loi qui demande à ce qu’il y ait des suivis de thèse justement pour éviter ce genre de problème, c’est-à-dire que comment fait l’étudiant pour s’autoévaluer ? C’est complètement difficile. Et donc, quand on a une thèse en plein temps, aujourd’hui, on est dans l’obligation de faire un comité de suivi.

Christophe Cousi : Oui. En deuxième année, c’est ça?

Florence Sordes : Oui, quand on est en plein temps. Donc, ça veut dire que là, le directeur de thèse, plus un extérieur, plus un intérieur, va en fait lire l’avancement de l’étudiant proposé et on va lui faire des retours, ce qui permet à la fois de parer finalement au directeur de thèse éventuellement défaillant, ce qui peut se passer, ou d’avoir un autre avis aussi pour le directeur de thèse qui lui permet de sortir aussi la tête de l’eau. Donc ça, ça se fait sur les pleins temps, mais aussi tout ce qui sont en temps partiel, ça veut dire que pour les temps partiels, on les décale à trois ou quatre ans et voilà, mais ça, ça peut être intéressant.

Christophe Cousi :

Q12 : Depuis quelques années, on constate l’introduction des méthodes mixtes qui intègrent à la fois des méthodes quantitatives et qualitatives, que pensez-vous de l’utilisation de ces méthodes-là ?

Florence Sordes : Moi, je suis à fond dessus, parce qu’en fait… c’est ce que j’ai dit tout à l’heure, les méthodes quantitatives, c’est bien, ça permet d’avoir des chiffres, sauf que moi je conçois que… enfin je ne peux pas m’imaginer qu’on puisse résumer l’humain à une statistique, donc je ne comprends pas ce phénomène-là. L’analyse de contenu, elle est bien, parce qu’elle permet de remettre des choses, mais si je ne fais que ça, ça ne donne pas… c’est difficile à articuler, en tout cas à avoir des résultats non pas généralisables, mais… De fait, l’analyse mixte, même si elle est compliquée, va permettre à la fois d’avoir… on pourrait très bien… les exemples, moi que j’ai sur les thèses, c’est on a des cohortes en transversal et plutôt quantitatif ; et sur du longitudinal, on va être que dans du qualitatif, et ça va nous permettre de pouvoir croiser à ce moment-là de façon mixte les deux méthodes et qui vont nous permettre d’avoir d’autres points de vue.

Christophe Cousi : D’accord, ok. Est-ce que ces méthodes sont enseignées ?

Florence Sordes : Non, pas du tout. Absolument pas… En tout cas, à Toulouse, elles ne sont pas enseignées, elles sont peu enseignées dans les universités. Elles posent problème parce qu’on a du mal à articuler vraiment quantitatif et qualitatif. Et d’ailleurs, on se demande des fois qu’est-ce que ça veut vraiment dire. Donc, non, elles ne sont pas du tout enseignées. En tout cas, elles questionnent, ce qui est déjà bien.

Christophe Cousi : Sont-elles valables pour toutes les disciplines ou seulement pour certaines ?

Florence Sordes : Aucune idée. Je ne me suis pas posé la question, donc…

Christophe Cousi : En tout cas, en psychologie, c’est très utilisé ?

Florence Sordes : En psycho, elles ne sont pas très utilisées, elles commencent à être utilisées par certaines personnes qui sont, on va dire, dans l’intermédiaire entre quantitatif et qualitatif pour lesquelles on sait très bien que le quantitatif ne peut pas répondre à tout et que le qualitatif non plus. Donc, est-ce que c’est utilisé sur d’autres disciplines ? Je ne sais pas. En tout cas… Oui, je ne sais pas, je n’en sais rien. Franchement, non.

Christophe Cousi :

Q13 : Alors, une autre méthode de réalisation d’une thèse consiste à rédiger une thèse par article, par publication. Lors des deux conférences, j’ai entendu des sociologues critiquer ce mode de production de la thèse. Ils disaient finalement que c’est une solution de facilité. Qu’est-ce que vous en pensez ? Que pensez-vous de ce type de travaux ?

Florence Sordes : Alors, il y a certains enseignants en psycho qui aiment bien ce style de thèse. Perso, je ne suis pas pour, parce qu’en fait ce n’est pas que ça facilite ou que c’est réducteur, mais me semble-t-il une thèse, ça part d’un objet de recherche sur lequel on va développer une problématique. Ça, c’est le vrai sens d’une thèse. Et à cette problématique-là, si je le fais sur une thèse sur articles, ça veut dire que je vais avoir des articles qui n’ont pas forcément de lien avec la problématique, parce que si je fais une thèse sur articles, il me faut au moins trois articles à minima. Faire trois articles sur une même population, une même problématique, etc. ça fait difficile. Donc, ça veut bien dire qu’à un moment donné les articles ne sont pas forcément en lien avec une problématique. Donc moi, je ne suis pas vraiment pour ce genre d’études, non pas parce que voilà… Je trouve qu’on perd vraiment le sens de cette légitimité de problématique.

Christophe Cousi : Et pour vous, ce genre de thèses ont la même valeur que les thèses dites classiques ou pas ?

Florence Sordes : Forcément, s’il y en a, ils auront la même valeur, c’est-à-dire que… je crois qu’il faut vraiment accepter tous les concepts que l’on puisse avoir et ça existe, donc forcément, on ne peut pas dire, « ben non, on les refuse ». Et demain je serai dans un jury où la thèse est sur articles, j’accepterai, parce que le directeur de thèse, à un moment donné, est allé dans ce sens-là.

Christophe Cousi : Est-ce que c’est dû au fait qu’on pousse à la publication aussi…

Florence Sordes : On pousse beaucoup à la publication aujourd’hui même à outrance, je dirais. Je crois qu’il y a une évolution. La thèse à une époque, moi quand je l’ai fait il y a vingt et quelques années, la thèse il n’y avait pas de nombre de pages. On faisait une thèse comme on avait envie de faire, c’est-à-dire pour peu qu’elle soit effectivement aussi légitime, de qualité, etc. Moi, dans mes souvenirs, on devait faire 400 pages ; aujourd’hui, une thèse elle doit faire 200 pages. Donc, on est dans une évolution, on va à l’essentiel, il ne faut pas dépasser, on va dire, les exigences sinon ça ne va plus. Je suis moins dans cette perspective-là. Pourvu que la thèse réponde à ce qu’elle est censée répondre, c’est le principal. Après, mes étudiants ne passent pas par des articles, par une thèse par articles.

Christophe Cousi : Vous ne les incitez pas à passer par…

Florence Sordes : Non. Je ne saurais pas les suivre en fait. C’est vraiment ça. Je ne suis pas persuadée que ça m’intéresserait, je conçois une thèse avec problématique, et puis sans doute plusieurs études mais qui répondent à la problématique, et après une fois que c’est fait, on publie.

Christophe Cousi : Quitte à mener à la publication, peut-être, même en cours…

Florence Sordes : Oui. Non, mais c’est ce qui se passe là. J’ai une étudiante qui finit là et elle est déjà sur une publication, c’est-à-dire que ça y est, c’est fini, elle a un déroulé sur deux études, ça répond à sa problématique, mais là, elle est en train de faire un article sur sa première étude. Donc, on inverse parce qu’un article, c’est court quoi quand même. Donc voilà, je ne suis pas fan.

Christophe Cousi : Merci pour votre avis !

Christophe Cousi :

Q14 : Alors maintenant Rishabh Jain, qui est un scientifique entrepreneur de San Francisco a dit « The PhD is a path, not an end », c’est-à-dire le doctorat est un chemin, pas une fin. …

Florence Sordes : Oui, un moyen, mais pas une fin

Christophe Cousi : Qu’est-ce qu’il a voulu dire par là ?

Florence Sordes : Comme partout, le permis voiture est un moyen, mais pas une fin, c’est-à-dire qu’on délivre un permis à un moment donné pour pouvoir faire quelque chose. On passe dans une cour supérieure. C’est en fait tout diplôme. Le diplôme de psychologue, quand on donne un diplôme de psychologue, c’est un permis, c’est le permis de pouvoir. Maintenant, moi, quand je délivre le diplôme de psychologue, je dis toujours : « Attention. Maintenant, c’est vraiment… vous avez un diplôme en main, mais maintenant il vous reste tout à apprendre ». Et en fait, la thèse, c’est la même chose. La thèse, c’est une sacrée expérience. On apprend beaucoup de soi et sur soi et des autres, et sur les autres. Et ça nous permet en principe de pouvoir savoir parfois ce qu’on a envie de faire ou pas, mais en tout cas ce n’est pas tout, c’est… voilà. Quand j’ai le permis voiture, je sais des fois conduire sur autoroute, mais je ne sais pas qu’il faut que je conduise… je n’ai jamais conduit sept heures sur une autoroute. Donc maintenant, je fais comment ? En fait, c’est la même chose.

Christophe Cousi :

Q15 : Maintenant, depuis peu, a été instaurée la thèse à temps partiel, qui allonge la durée des études entre quatre et six ans. Cette modalité temporelle répond mieux aux besoins des étudiants qui souvent doivent travailler pour vivre et qui ont de ce fait peu de temps à consacrer aux travaux de recherche. Quelle est votre opinion sur cette modalité temporelle ?

Florence Sordes : Moi, je la trouve bien, parce qu’en fait ça évite d’avoir des enseignants ou à un moment donné des décisions qui seraient que quand on travaille… Déjà un, ça permet à des étudiants qui n’ont pas de contrat doctoral, de subvention, d’allocation, etc. de pouvoir faire une thèse tout en étant…

Christophe Cousi : Tout en travaillant.

Florence Sordes : Voilà, tout en travaillant. Sauf que si j’assortis ça en disant, « vous travaillez, mais en même temps il vous faire la thèse en trois ans, autant vous dire que ça ne sert à rien, parce que ce n’est pas possible. Donc, je trouve que le fait d’avoir amené cette thèse à temps partiel est vraiment très bien pour celui qui travaille. Certes ça rallonge, mais l’étudiant qui travaille 80 % ou 100 % pour certains, ils savent très bien qu’en s’engageant, ils ne pourront pas tenir le deal en trois ans. Donc, je crois que c’est un choix et pour celui qui travaille, en principe, il sait quand même ce qu’il fait. Donc, c’est une très bonne chose et ça permet qu’on ne leur mette pas la pression comme aux autres, parce que la pression elle peut mettre…

Christophe Cousi : … ils n’ont pas les mêmes conditions, donc on ne peut pas les comparer ?

Florence Sordes : Si cette loi n’était pas là, je suis assez persuadée qu’on mettrait la pression sur les étudiants aussi pour finir en trois ans. Déjà trois ans, c’est compliqué.

Christophe Cousi :

Q16 : Si je vous pose la question, pourquoi faire une thèse ? Qu’est-ce que vous me répondez ? Pourquoi faire sa thèse ?

Florence Sordes : (Rires) Là, je crois qu’il y a plusieurs éléments de réponse. La première, je crois qu’on peut donner… Je crois que la première raison, c’est on fait une thèse parce qu’on a envie de continuer après. On a fini en M2 pro ou recherche, peu importe, et puis finalement on a envie de poursuivre. Souvent, au départ, ce que je crois, c’est que l’étudiant quand il s’inscrit en thèse, il ne sait pas forcément pourquoi. Il s’est inscrit parce qu’il a envie de faire une recherche et qu’à priori un enseignant a cru en lui et est soutenu par cet enseignant et… voilà. Mais après, je ne pense pas qu’il se dise, en tout cas pas dans les premiers mois, « je vais faire cette thèse pour être enseignant après » ou « je vais faire cette thèse pour être chercheur ». C’est rare les étudiants qui se disent ça. Donc, je pense qu’en fait c’est… pourquoi on fait une thèse ? Parce qu’à un moment donné, on s’est dit que la recherche plaisait aussi et qu’il y avait des choses à apprendre et … voilà. Après, il peut y avoir d’autres raisons, raisons personnelles, « je cherche quelque chose, il faut que j’essaie d’y répondre » et voilà, après c’est une raison personnelle.

Christophe Cousi :

Q17 : Alors toujours selon vous, quelles sont les compétences que doivent développer les doctorants au cours de la réalisation de la thèse ?

Florence Sordes : Alors, compétences…

Christophe Cousi : On parle beaucoup de compétences…

Florence Sordes : Parfois, on est surpris. Parfois, les compétences… l’étudiant, il doit forcément réaliser… il doit vraiment développer normalement une compétence d’écriture et de rédaction. Souvent, en première année, ou dans les premiers mois, l’écriture n’est pas là, c’est plus facile pour certains que pour d’autres. Certains, ils arrivent à rédiger… ça a toujours été limpide, c’est clair dans leurs têtes, tout va bien.

Christophe Cousi : Donc, ça s’apprend ?

Florence Sordes : Certains, sans doute, ont cette facilité pour cela. Pour d’autres qui n’ont pas ces facilités, ils doivent vraiment, oui, développer ces compétences, je dirais, de réflexion, d’esprit de synthèse, de rédaction. Et ça, tant qu’on n’a pas ça, ça ne peut pas donner une thèse de qualité. Donc ça, c’est vraiment une des compétences qui est à acquérir et à développer. Il y a une compétence d’autonomie, obligatoirement, parce qu’on ne peut pas être toujours derrière l’étudiant pour lui dire de, il faut que l’étudiant soit innovant, surprenant… j’ai envie de dire innovant et surprenant, imaginatif, qu’il puisse prendre des initiatives tout seul. Ça, c’est aussi… ça se développe, parce que jusqu’en M2 on leur a dit, « il faut faire comme ça et pas comme ça ». Et en thèse, on leur dit, « les portes sont ouvertes, vous venez de notre côté avec nous faire la recherche, mais à vous aussi à dire des choses, etc. » Donc là, c’est parfois… on peut avoir des étudiants dans l’attente et on sait que si les étudiants sont dans l’attente, on ne va pas pouvoir progresser beaucoup. Donc, je pense que c’est ces deux choses qui vont faire que la thèse puisse se réaliser.

Christophe Cousi :

Q18 : En dernier lieu, sur la thèse, quels conseils donneriez-vous aux doctorants pour réaliser une bonne thèse et une bonne soutenance, qui soient des plus réussies ?

Florence Sordes : bonne thèse, ça va être la même chose que tout à l’heure. Je ne sais pas ce que c’est qu’une bonne thèse. Finalement, c’est pareil que les compétences. Si l’étudiant arrive à développer toutes ses compétences, forcément, et s’il a pris au départ un objet de recherche qui se tienne et qui est clair dans sa tête, logiquement, la thèse va se décliner avec toutes les compétences donc la thèse…. Et puis pour que ça soit une bonne thèse, une thèse de qualité, le directeur de thèse a aussi une responsabilité, donc il est là en tout cas pour lire, relire et re-relire encore autant de fois que…

Christophe Cousi : … et réorienter s’il le faut.

Florence Sordes : Absolument. Le directeur de thèse, c’est là, c’est-à-dire que pour moi, une thèse, c’est aussi quand même, qu’on le veuille ou pas, à un moment donné, la qualité d’une thèse, c’est aussi la qualité d’un directeur de recherche, que si à un moment donné, on se retrouve dans une soutenance avec un étudiant qui se fait démonter pendant sa soutenance, pour moi c’est le directeur de recherche qu’on démonte, point. Donc…

Christophe Cousi : Indirectement.

Florence Sordes : Indirectement. Mais bon…

Christophe Cousi : Enfin presque directement.

Florence Sordes : Quand même. Donc pour moi, la thèse de qualité ou une bonne thèse, c’est en fait une thèse dans laquelle le directeur de recherche va s’impliquer, s’engager autant que l’étudiant et va l’aider. Et de fait, la soutenance, la même chose, c’est-à-dire une bonne soutenance, c’est une soutenance qui a été répétée, répétée, répétée, qui est fait… en tout cas c’est ce qu’on développe, nous, c’est de pouvoir faire des présoutenances,  donc en axe devant tout le monde, pour que l’étudiant puisse avoir le retour des autres, pour avoir aussi je m’implique là et du coup il y a quelque chose qui fait que, donc ça permet de réorienter les soutenances et ça permet de refaire une présoutenance qui soit un peu plus en adéquation avec ce qu’on attend.

Christophe Cousi :

Q19 : Alors, on va passer maintenant à des questions transversales qui touchent la réalisation du mémoire et de la thèse. Globalement, quelles différences peut-on faire entre le mémoire de recherche et la thèse ?

Florence Sordes : Ça n’a rien à voir…

Christophe Cousi : Au-delà des années universitaires…

Florence Sordes : Ça n’a rien à voir, parce qu’en fait le mémoire de recherche va être quelque chose de plus ponctuel, c’est-à-dire ponctuellement, je réponds à un objet de recherche qui soit… dans lequel l’étudiant est quand même engagé. La thèse, elle va être beaucoup plus lourde dans le sens où on va être sur je dirais peut-être plus une problématique, c’est-à-dire j’ai bien une question de recherche, mais je suis obligé de développer une problématique pour répondre à tout ça. Donc pour moi, ça n’a pas grand-chose à voir, en même temps ça a beaucoup à voir, mais ça reste des démarches de recherche, mais dans lesquelles l’étudiant en thèse devrait davantage se poser des questions sur les applications à venir, sur le mémoire de M1 ou M2 beaucoup moins, on n’en a pas le temps.

Christophe Cousi :

Q20 : Autre question, selon vous, pourquoi l’idée de devoir réaliser un mémoire de recherche ou une thèse entraîne-t-elle autant de stress chez les étudiants alors même qu’il s’agit plutôt d’une activité passionnante au cours de laquelle l’étudiant sera guidé et soutenu ? Est-ce un rapport à l’angoisse, ne pas savoir quoi dire ou au contraire d’avoir quelque chose à dire qui pourrait être mal compris ou mal jugé ? Ou l’angoisse tient-elle seulement à la nécessité de s’organiser, de gérer son planning, de partir dans l’inconnu tout au long de la rédaction ? Pourquoi ce stress des étudiants ?

Florence Sordes : Moi, je serais sur la première et troisième hypothèse, c’est-à-dire mémoire et recherche, on fait une thèse, quand je vois les étudiants, la première difficulté, le premier stress, c’est de se donner à voir dans l’écriture. Si j’écris, c’est que je me donne à voir à un moment donné et c’est qu’on va voir si je sais bien écrire ou pas, si je sais faire ou pas. Ça, c’est le premier stress. Ça reste globalement le stress de la page blanche et il faut que j’écrive, mais je ne sais pas quoi, et si j’écris, qu’est-ce qu’on va dire. Après, c’est le stress de l’organisation. Un mémoire en M1 ou en M2, c’est relativement vite passé, c’est six mois, sept mois de travail, sauf que six sept mois de travail, si on regarde, il y a deux mois et quelques, on était à noël, on est déjà au mois de mars, ça passe super vite. Et bien souvent, on n’a pas ces repères temporels, c’est-à-dire qu’on pense qu’on a toujours à peu près avoir le temps, ce qui est vrai en M1 et M2 ; en thèse, je dirais à la fois le temps ne passe pas vite, mais il passe très vite, et qu’on est inscrit en première année,  logiquement en première année, on devrait avoir assis son protocole, ses documents éthiques, etc. sauf qu’en fait en un an, on s’aperçoit qu’entre faire le protocole, entre demander les autorisations, etc. trouver son terrain, il y a un an qui est déjà passé, si je suis à plein temps, je n’ai plus que deux ans. Il suffit que d’avoir un terrain un peu compliqué, forcément je ne commence pas la première année, mais la seconde année. Donc là, on va dire que le stress est encore au-delà avec tous les autres stress que l‘on a, parce qu’en M1 et en M2, le stress n’est pas le même qu’en thèse. En M1 et en M2, je ne vois pas encore ce qui se passe derrière les rideaux. En thèse, je vois ce qui se passe derrière les rideaux, et puis en principe en thèse, enfin en principe, non, mais en thèse je fais partie d’un laboratoire. Et dans le laboratoire, je vois des choses que je ne voyais pas jusqu’à présent qui rajoutent parfois un peu de stress.

Christophe Cousi : D’accord, ok. Il y a cette note aussi au mémoire qui effraie, on se dit, « quelle note je vais avoir ? », qui a une valeur subjective, affective quand même.  On y met tellement de soi dans son mémoire, on se dit…

Florence Sordes : Oui. Et puis, je crois quand même que la concurrence fait. Donc jusqu’à présent en fait, pour pouvoir rentrer en M1 ou pour pouvoir rentrer en M2, il fallait avoir, on va dire, à la fois une bonne note au mémoire, etc.

Christophe Cousi : Il y avait cette pression-là !

Florence Sordes : Donc du coup l’étudiant, il courait toujours à une note au-delà de 14, ce qui aussi on a des aberrations, puisqu’on a des notes qui vont jusqu’à 18, etc. Donc, l’étudiant ne comprend plus vraiment ce qui se passe. Aujourd’hui, ça va moins de passer puisqu’en fait il y a la sélection qui est à la fin du L3, donc le mémoire n’y est plus. Donc pour moi, en tout cas moi ce que je dis, c’est qu’il n’y a plus de concurrence, c’est-à-dire les étudiants sont en M1, puis vont en M2, il n’y a pas de concurrence, s’il y a quelque chose à faire c’est à s’entraider. Mais effectivement, forcément, on est dans un système scolaire quand même malgré tout et que la note elle récompense en fait un travail. Et si l’étudiant hyper investit et surinvestit son travail et qu’il n’obtient finalement qu’un 14, ce qui est bien quand même, l’étudiant est parfois déçu. Moi, j’en ai vu à 14 déçus réellement. Mais pour autant, ça reste une bonne note et un bon travail.

Christophe Cousi : C’est vrai.

Christophe Cousi :

Q21a : Alors maintenant, je vais vous poser des questions touchant la communication et la publication scientifique. Actuellement, quelles sont les contraintes pour les enseignants chercheurs en matière de publication ?

Florence Sordes : Alors les contraintes, elles sont énormes. Alors dans mes souvenirs, elles sont, je crois, deux articles par an et par enseignant chercheur, ce qui est complètement difficile quand en fait on a aussi des responsabilités…

Florence Sordes : C’est imposé, ce n’est pas…

Christophe Cousi : C’est implicite…

Florence Sordes : Oui, c’est quand même… on demande à ce que… et comme il y a les bilans quand même qui se font aussi dans les laboratoires etc. forcément, un enseignant est dit publiant ou pas publiant. Et en fonction, certains laboratoires intègrent des enseignants chercheurs publiant ou non publiant, mais certains disent, les non publiant, on les mettra en associés. Puisqu’en fait, plus j’ai d’enseignants dans un laboratoire, logiquement, plus de publications, ça veut dire que si j’ai un enseignant ou deux qui ne publient pas, mais ça va plomber en fait le quota. Donc, on va demander toujours plus à l’enseignant, sauf qu’effectivement en psycho ou en tout cas pour ce qui nous concerne, nous, à Toulouse, on a à la fois beaucoup d’étudiants, on a à la fois beaucoup de responsabilités pédagogiques, et que la semaine elle fait, enfin les journées ne font que 24 heures et qu’on ne peut pas faire plus. Donc effectivement, aujourd’hui, il y a une exigence sur la publication.

Christophe Cousi :

Q21b : Justement en ce qui concerne la publication scientifique, une phrase issue du modèle anglo-saxon qui dit, « publish or perish », publier ou mourir. Qu’est-ce que vous pensez ? Est-ce que c’est la dure réalité ?

Florence Sordes : Non, je dirais qu’on n’est pas la… heureusement. Certains le disent, certains ne sont que sur ces propos-là. Il n’y a qu’une vie, elle est courte, donc il faut faire ce qu’on peut.

Christophe Cousi : C’est ça.

Florence Sordes : Donc, si on publie c’est bien et quand on est chercheur, on a aussi des étudiants et on essaie de faire des choses collaboratives, parce que quand même, malgré tout, c’est sur leurs recherches qu’on va publier à un moment donné avec eux, donc c’est essayer de développer le collectif. Après, on ne publie pas, on fait tout ce qu’on peut.

Christophe Cousi : Bien sûr.

Q21c : Certains chercheurs proposent de défendre une autre optique, celle de la slow science, une science lente, autrement dit il est question de travailler plus lentement avec un nombre restreint de publications, mais une meilleure qualité et plus pertinente des travaux. Quelle est votre opinion ? Est-ce que ce type de science peut-elle convenir aux réalités de la vie qui font qu’un chercheur pour obtenir un poste ou simplement pour présenter une idée à un colloque doit avoir un certain nombre de publications quand même ?

Florence Sordes : Oui. Je crois que malgré tout, ça se fait comme ça aujourd’hui, c’est-à-dire qu’on est sur… Pour obtenir, pour aller sur des postes effectivement, il faut avoir certaines publications, il faut avoir un dossier qui reflète en fait un engagement, mais aussi bien scientifique que pédagogique qu’administratif, donc ça fait partie… Je ne sais pas vraiment répondre à cette question-là, est-ce qu’il faut développer quelque chose de lent.

Christophe Cousi : de plus lent. Aller moins vite pour produire des recherches de meilleure qualité.

Florence Sordes : Oui. Pour autant, est-ce que ça serait… La question, c’est paradoxal, est-ce que parce que j’irais plus lentement que mes recherches seraient de plus grande qualité ? Personne ne peut le dire. Peut-être que ça va être plus lent, mais ma recherche sera toujours aussi moche que quand c’était plus rapide. Donc, je crois qu’on ne peut pas… Je crois qu’on doit être vigilent au fait qu’il faut faire attention à ce que l’on fait et pas faire n’importe quoi. Dans une société, aujourd’hui, où tout va toujours plus vite, je pense qu’il faut être plutôt dans la réflexion et faire attention à ne pas y laisser beaucoup de soi quand même.

Christophe Cousi :

Q21d : De plus en plus de chercheurs optent pour la communication scientifique en ligne et publication en ligne, quelle incidence ce mode de publication peut-il avoir sur la communication scientifique en général ?

Florence Sordes : Honnêtement, je ne sais pas. Je ne sais pas quelle est l’incidence, parce qu’en fait on en a effectivement de plus en plus, mais quelle incidence, on est tous aujourd’hui en train de regarder sur internet et sur les bibliographies, etc. tout ce qui peut y avoir en ligne, je pense qu’il y aura un effet important sur le papier et notre comportement par rapport à ce papier-là et avoir l’habitude d’aller dans les bibliothèques, etc. ce qui est dommageable.  Mais je pense qu’on a trop peu de recul pour savoir ce que ça va donner, quelles incidences ça peut avoir.

Christophe Cousi : Une pression des éditeurs peut-être qui s’interrogent à savoir, peut-être ils vont perdre le monopole…

Florence Sordes : Je ne sais pas.

Christophe Cousi : de la publication.

Florence Sordes : Pour le moment, non, j’avoue que je n’ai pas… oui.

Christophe Cousi :

Q21e : Par ailleurs, l’accès au numérique n’entraine-t-il pas du plagiat dans les mémoires et les thèses.

Florence Sordes : Je ne crois pas, non. De la même façon que lorsqu’on a des livres face à soi, je peux avoir du plagiat de la même façon.

Christophe Cousi :

Q21f : Est-ce qu’ici par exemple, les mémoires et les thèses sont passés au détecteur de plagiat ?

Florence Sordes : Pas tous. Moi, je fais confiance à mes étudiants.

Christophe Cousi : Vous faites confiance. D’accord, ok.

Florence Sordes : Oui. Je sais que certains le font. Moi, en M1, j’ai 15 étudiants, je ne vais pas passer les 15 mémoires, je leur fais confiance, je leur dis, ils sont avertis. Si le jour de la soutenance, l’assesseur remarque quelque chose le dit, et j’ai pour principe de faire confiance.

Christophe Cousi : alors maintenant les questions qui touchent les enseignants-chercheurs.

Q22a : Justement ma deuxième question, c’était qu’est-ce qu’être un enseignant-chercheur aujourd’hui ? Comment est partagé le temps de l’activité ?

Florence Sordes : Ben voilà, je l’ai dit au départ. En fait, dans les multiples casquettes que j’ai, un enseignant chercheur, il est à la fois enseignant, il fait des heures d’enseignement, il est chercheur quand il peut et il est aussi administratif. Et en fait, tout ceci va s’articuler tous les jours. Et plus on prend de responsabilités importantes, et plus on a… au moins on a de temps pour la recherche, ça, c’est un fait.

Christophe Cousi :

Q22b : Comment pourrait évoluer le métier d’enseignant-chercheur à l’avenir ? Est-ce que les cours en ligne qui ne nécessitent plus la coprésence des étudiants et du professeur se développent de plus en plus ? Est-ce que le cours magistral est amené à disparaître ?

Florence Sordes : Alors pour le moment, je vais faire l’hypothèse que non le cours magistral ne disparaîtra pas et que les cours en ligne il n’y en aura pas. Pour moi, ça serait dommageable de voir… alors on le voit dans certains… par exemple je vois sur les écoles d’infirmières, il y a des conférences qui sont enregistrées, c’est un cours qui est enregistré et il est donné aux 13 écoles d’infirmières. Je trouve ça dommageable, parce qu’en fait l’étudiant quand il regarde une vidéo, il y est ou il n’y est pas, souvent il n’y est pas. Donc, ça veut dire que j’ai perdu les étudiants à faire ce genre de truc, sauf que forcément à la société, ça coûte moins cher. Et c’est pour ça que le cours magistral, amené à disparaître, j’espère que non, parce que c’est quand même là… même si l’étudiant, même si parfois on s’en voit avec 400 étudiants, mais c’est quand même là que l’étudiant a contact avec les autres, peut discuter malgré tout en dehors du fait de ce qu’il a fait le weekend quand même des cours ou des questions qui sont posées, voilà, donc j’espère que ça ne disparaîtrait pas.

Christophe Cousi :

Q23a : Dans le futur proche, si on fait un peu de prospective, comment pourrait évoluer la recherche ?

Florence Sordes : Comment elle pourrait évoluer, la recherche ? Aucune idée. Alors là… je ne sais pas. De toute façon, la recherche, elle est cadenassée par les laboratoires dans lesquels on est, dans lesquels en tout cas on s’implique. Peut-être qu’avec un peu de folie, on demanderait encore plus, ce qui j’espère va se calmer à un moment donné. Mais non, je ne vois pas bien…

Christophe Cousi :

Q23b : Sera-t-elle toujours au niveau des doctorats individuelle à l’aire du numérique ? Ne pourra-t-elle pas aboutir à des recherches internationales peut-être ?

Florence Sordes : Si, elle peut. Dans certains labos et dans certaines équipes, elles peuvent être à la fois internationales ou en codirection avec des tutelles. Ce que je crois et par contre l’idée ne me plaît pas d’entendre qu’on puisse faire des thèses tout seul ou d’avoir des doctorats tout seul. Pour moi, c’est ce que je fais d’ailleurs avec mes doctorants, j’en ai six, et on fait des réunions tous les mois, eux avec moi et il y a un autre enseignant, parce que le doctorant ne doit pas être que tout seul. Donc, j’espère que ça quand même, ça peut être entendu et entendable du fait que quand on fait la recherche, on ne doit pas être que tout seul.

Christophe Cousi :

Q23c : Autre question. Compte tenu de la vitesse vertigineuse à laquelle avancent les technologies, notamment celles qui portent sur l’intelligence artificielle, ne pensez-vous pas qu’il devient nécessaire de repenser des méthodologies de recherche en intégrant déjà la part que prendra l’IA bientôt dans les recherches ?

Florence Sordes : Je n’ai aucune idée là-dessus. Franchement, je ne me suis pas penchée du tout sur cette question-là, de toute façon, ce que je pense qu’effectivement…

Christophe Cousi : Est-ce qu’on en est loin de…

Florence Sordes : Notre société, elle évolue, donc forcément les recherches vont évoluer obligatoirement. De quelle façon ? Je ne sais pas. On est quand même sur de l’humain, mais malgré tout… [diaphonie] on est très particulier…

Christophe Cousi : dans notre discipline à nous qui sommes les sciences humaines et sociales…

Florence Sordes : oui, c’est particulier quand même, parce qu’on ne peut pas oublier que l’humain, enfin l’intelligence artificielle, malgré tout, moi j’ai quand même un humain en face de moi. Donc, je peux faire passer plein de protocoles en ligne, je peux faire plein de choses, sauf que l’humain reste un humain et une personne âgée reste une personne âgée, donc comment je peux faire pour aller à la rencontre de cette personne-là.

Christophe Cousi : D’accord !

Christophe Cousi :

Q24 : On en a fini. Quelle question auriez-vous aimé que je vous pose…  

Florence Sordes : Là, je crois qu’en fait vous avez tout posé…

Christophe Cousi : je crois qu’on a fait le tour, oui. On a évoqué beaucoup de choses. Mais est-ce qu’il y a une question à laquelle vous auriez aimé répondre, mais que je ne vous ai pas posée ?

Florence Sordes : (Rires)… Non, je crois que…

Christophe Cousi : et qui pourrait éclairer peut-être les étudiants…

Florence Sordes : RIRES… Non, peut-être, mais je pense quand même que je l’ai dit, mais peut-être comment moi je pouvais concevoir la recherche ? Parce qu’on a beaucoup parlé de l’étudiant à la fois en M1, M2, en thèse, des charges qui pèsent finalement sur un enseignant-chercheur, mais finalement un enseignant-chercheur, c’est aussi quelqu’un qui fait la recherche, en tout cas qui essaye, et peut-être c’était celle-là de savoir finalement moi, comment je prends tout ça, parce que ça me semble important quand même… parce que malgré tout, parfois on a l’impression qu’on devient des machines. Mais je l’ai quand même dit tout au long de cet entretien-là, pour moi, la recherche ce n’est que du plaisir et que forcément… Ma dynamique à moi, en tout cas, elle est de faire beaucoup avec les étudiants, donc… Mais c’est intéressant de reposer cette question-là, comment un enseignement se repositionne par rapport à la recherche qu’il a à faire ou qu’il doit faire ou qu’il fait, voilà.

Christophe Cousi : Il y a des remises en question aussi ?

Florence Sordes : Absolument. Ah oui, ça c’est sans cesse une remise en question, sinon on reste toujours sur ses mêmes chevaux et rien de plus. Donc, voilà.

Christophe Cousi : Merci infiniment…

Florence Sordes : De rien, avec plaisir.

Christophe Cousi : Merci pour l’interview que vous m’avez accordée. Merci beaucoup.